Né dans une famille ouvrière de Montluçon à la fin du XIXe siècle, Marx Dormoy mène une brillante carrière politique au sein de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) pendant l’entre-deux-guerres. Son ascension le conduit à être nommé en 1937 ministre de l’intérieur du Front Populaire. Comme ministre, son action contre l’extrême droite – et en particulier une organisation secrète surnommée la Cagoule – lui attire des rancunes tenaces. Opposé au régime de Vichy, il est arrêté en 1940 et placé en résidence surveillée. Des anciens de la Cagoule en profitent pour l’assassiner en juillet 1941.

UNE ENFANCE OUVRIERE

Marx Dormoy nait à Montluçon (Auvergne) le 2 août 1888, du cordonnier Jean Dormoy et de Marie-Joséphine Gavignon. Son nom d’Etat civil est René Marx Dormoy (« René » a probablement été ajouté par l’employé de la mairie pour reléguer la référence à Karl Marx en deuxième position). Montluçon est alors une ville industrielle et ouvrière et la famille de Marx Dormoy habite un quartier d’habitations insalubres et exigües. Deux de ses sœurs meurent d’ailleurs avant l’âge adulte.
Marx Dormoy doit ses premiers contacts avec la politique à son père Jean, très engagé à gauche et connu pour ses activités syndicales. Autodidacte, Jean Dormoy s’est formé par la lecture de Karl Marx et est devenu chef de file du mouvement ouvrier à Montluçon, dont il est élu maire en 1892. Il devient peu à peu une figure reconnue nationalement en se rapprochant de Jules Guesde, alors chef du Parti Ouvrier Français.
A l’école, Marx Dormoy est un élève décrit comme doué mais bagarreur. Ayant dû quitter prématurément l’école au décès de son père en 1898, pour subvenir avec sa sœur aux besoins de sa mère, il apprend le métier d’ajusteur mais n’y voit qu’un gagne-pain, la politique étant son centre d’intérêt principal. Il développe ses connaissances théoriques grâce à un ami de son père qui lui donne accès à sa bibliothèque.

L’ENGAGEMENT EN POLITIQUE
Marx Dormoy commence son service militaire en 1911 puis est mobilisé en 1914. Après la Grande Guerre, il devient militant de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) et participe au congrès de Tours (1920), qui entraîne la scission entre socialistes et communistes. Critique envers la révolution russe, Marx Dormoy choisi de rester à la SFIO et garde toute sa vie une méfiance envers le communisme.
La carrière de Marx Dormoy a à la fois un ancrage local et une dimension nationale. Devenu chef de la fédération SFIO de l’Allier et conseiller d’arrondissement et maire de Montluçon, Dormoy met en œuvre dans les années 20 et 30 une forme de « socialisme municipal » caractérisé par des politiques d’assistance sociale et de santé publique ainsi que par la construction de structures culturelles, éducatives et sportives. Très populaire, il est élu trois fois de suite au premier tour.
En parallèle, il débute une carrière parlementaire en étant élu député en 1931 (puis sénateur en 1938) et devient influent sur la scène nationale, se rapprochant notamment de Léon Blum, dont il devient intime.
LE FRONT POPULAIRE

Dans les années 30, les évolutions de la politique française poussent Marx Dormoy sur le devant de la scène. Le 6 février 1934, une manifestation nationaliste à Paris dégénère en affrontements violents entre manifestants et policiers aux alentours de l’Assemblée Nationale. L’évènement est interprété par la gauche comme une tentative de coup d’Etat fasciste, ce qui pousse les différentes tendances de la gauche française (Socialistes, radicaux et communistes) à s’unir contre l’extrême-droite, qu’elles perçoivent comme un ennemi commun.
Malgré sa méfiance envers les communistes, Marx Dormoy fait partie de ceux qui appellent à une alliance de partis de gauche face aux nationalistes antirépublicains. Cette alliance se concrétise par la formation du Front Populaire, qui arrive au pouvoir en remportant les élections législatives de 1936.
En juin 1936, Marx Dormoy entre à l’Hôtel Matignon comme sous secrétaire d’Etat de Léon Blum, devenu chef du gouvernement. Suite aux grèves massives de l’été 1936, il participe aux négociations des accords de Matignon qui accordent aux salariés français des acquis sociaux considérables, dont les premiers congés payés.
En novembre, Léon Blum qui décrit Marx Dormoy comme énergique, réfléchi, et expérimenté, le nomme ministre de l’intérieur. Le prédécesseur de Marx Dormoy, Roger Salengro, vient alors d’être poussé au suicide par une campagne de calomnies. Le poste est particulièrement exposé dans le contexte de violences politiques que connaît la France. En mars 1937, des affrontements meurtriers entre militants communistes et nationalistes à Clichy valent à Marx Dormoy l’hostilité à la fois de l’extrême-droite et de la presse communiste, qui l’accusent toutes deux d’avoir favorisé l’autre camp.
Ce passage au ministère de l’intérieur est marqué par la lutte de Dormoy contre l’extrême-droite, lutte qui lui vaut des inimitiés expliquant son assassinat en 1941. L’action de Marx Dormoy suscite en effet de nombreuses rancœurs et envies de vengeance, notamment celle de Jacques Doriot, fondateur d’un parti d’inspiration fasciste (le Parti Populaire Français), que Dormoy a révoqué de son poste de maire de Saint Denis pour des irrégularités dans la gestion du budget municipal.



LE DEMANTELEMENT DE LA CAGOULE
Marx Dormoy se distingue surtout par son action contre une organisation secrète d’extrême droite ; le CSAR (Comité Secret d’Action Révolutionnaire) surnommé la « Cagoule ». Cette organisation très hostile au Front populaire et soutenue par de grands industriels est soupçonnée de préparer un coup de force contre la République. Dormoy ordonne une enquête, et en novembre 1937, les chefs de la Cagoule sont arrêtés où fuient vers l’étranger. Les perquisitions de la police révèlent que la Cagoule préparait un coup d’Etat que ses chefs ont finalement annulé faute de soutiens suffisants en haut-lieu. Les enquêteurs découvrent des caches d’armes, des renseignements sur les forces de l’ordre et des cellules pour enfermer des opposants. Quelques membres de la cagoule sont arrêtés et son chef, Eugène Deloncle, s’enfuit à l’étranger.
En janvier 1938 Marx Dormoy annonce à la presse l’existence de la Cagoule mais son action fait long feu. La gauche soutient le ministre mais la presse nationaliste accuse le ministre d’avoir inventé le complot et cherche à le ridiculiser en l’affublant du surnom de « Fanto-Marx » et en multipliant les caricatures. L’instruction du procès est lente car le contexte de menaces de guerre n’incite pas les autorités à affaiblir l’armée, dont certains dirigeants sont impliqués dans le complot. En 1938, le Front Populaire perd le pouvoir et l’année suivante, l’entrée en guerre met fin au procès de la Cagoule dont les ex-membres sont libérés pour s’engager dans l’armée. L’occupation va leur donner l’occasion de se venger de l’ancien ministre.


Une des réserves d’armes découvertes par la police lors du coup de filet contre la Cagoule

L’OCCUPATION : ARRESTATION PUIS ASSASSINAT DE MARX DORMOY

En mai-juin 1940, la débâcle de l’armée française et l’invasion du pays entraînent la fin de la IIIe République. Marx Dormoy retrouve Léon Blum à Bordeaux où le gouvernement s’est réfugié et le 10 juillet ils font tous deux partie des 80 parlementaires qui votent contre l’accord des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Le nouveau contexte est dangereux pour Dormoy : au sortir de la séance du 10 juillet, Jacques Doriot lui a crié devant témoin : « On aura ta peau Dormoy ! ». Les anciens « cagoulards » sont alors en liberté et certains sont membres d’organisations collaborationnistes soutenues par l’Allemagne nazie. L’ancien chef de la Cagoule Eugène Deloncle rejoint ainsi le Rassemblement National Populaire (RNP), favorable à une « Europe nazie ».
Très vite, le régime de Vichy, dont les dirigeants haïssent le Front populaire, démet Marx Dormoy de toutes ses fonctions puis le place en résidence surveillée en tant qu’opposant à la « Révolution Nationale » du Maréchal Pétain. En 1941, Dormoy est placé au relais de l’Empereur à Montélimar. Dans sa correspondance avec ses amis, il se dit conscient des risques d’assassinat.
En effet, les militants d’extrême-droite voient dans le nouveau contexte une occasion d’exercer leur revanche contre les milieux socialistes, francs-maçons et juifs. La presse vichyste et collaborationniste se déchaîne contre l’ancien ministre et travaille à le diaboliser auprès d’une partie de l’opinion. Peut-être commandités par les anciens chefs de la cagoule alors en poste à Vichy et Paris, un groupe de trois jeunes hommes et une jeune femme aux idées nationalistes décident de tuer Marx Dormoy. Les quatre conjurés (Ludovic Guichard, Yves Moynier et Maurice Vaillant et Annie Mouraille) se rendent à Montélimar. Le soir du 25 juillet 1941, Annie Mouraille fait diversion en tenant compagnie Marx Dormoy à l’heure du diner pendant que ses complices placent une bombe retardement sous son lit. Pendant la nuit, l’engin explose et tue l’ancien ministre.
Le commissaire Chenevier, chargé de l’affaire, mène l’enquête avec sérieux, d’autant que certains dirigeants vichystes se méfient des groupuscules collaborationnistes. Les assassins sont arrêtés en 1942 mais l’invasion de la zone sud par l’armée allemande met fin à l’enquête peu après, ce qui empêche de remonter aux commanditaires. Les assassins de Marx Dormoy sont libérés par les autorités allemandes tandis que le commissaire Chenevier est interné en camp de concentration. Ce n’est qu’à la Libération que le procès de l’assassinat de Marx Dormoy a lieu, mais la plupart des suspects sont alors morts ou en fuite à l’étranger.


POSTERITE
Après la Libération, Marx Dormoy bénéficie d’hommages posthumes, notamment de la part de Léon Blum. Une statue à son effigie est élevée à Montluçon et plusieurs rues et établissements scolaires portent son nom, dont le Lycée Polyvalent Marx Dormoy, inauguré à Champigny en 1994.
Bibliographie / ressources en ligne :
André Touret, Marx Dormoy, ed Créer, 1998
Frank Tison, « La cible Marx Dormoy », Criminocorpus, 2022 : https://journals.openedition.org/criminocorpus/10459?lang=fr
Jean-Marc Berlière, « L’assassinat de Marx Dormoy : questions autour d’un attentat politique (Montélimar, juillet 1941) », dans Jean-Marc Berlière (dir.), Les grandes affaires criminelles du Moyen Âge à nos jours, Paris, Perrin, 2020, p. 255-276.